À l’intérieur de l’orgue de barbarie

Par Alejandro Estivill, consul général du Mexique à Montréal

Je t’ai demandé pardon, Père, mais pas sans d’abord déchirer les entrailles de l’orgue de barbarie. Je voulais voir les petits hommes ; connaître la magie que cet instrument à l’intérieur. Je voulais cueillir le secret de la caisse de résonance ; tatou à longue canne, comme une salutation à l’équilibre inattendu… à notre propre squelette. Je voulais voir tout son orchestre de musiciens minuscules et les forcer à siffler et à jouer avec leurs petits instruments ; bien que pour ça, ceux qui se cachent à l’intérieur —je sais bien— peuvent agoniser.

J’ai dévissé les boutons très soigneusement : un par un, et les a placés sur le côté, dans les boîtes de l’atelier qui ont un feutre verdâtre et cassé comme les planteurs du Parc au Peuplier où ce dispositif musical sonne chaque après-midi. J’ai enlevé les couvertures, l’une avec des lettres si sérieuses et carrées comme chapiteau de théâtre ; et les autres avec une armure incrustée, de chaque côté. Je les ai arrangés aussi, très bien ordonnés. Je devrais creuser à l’intérieur pour trouver ces petits et insaisissables hommes microscopes qui se taisent bien.

J’ai vérifié l’engrange relié à la manivelle, le grand qui ressemble à un manège de foire et, de même, les soupapes disposées comme un arbre à cames… activé par deux paires d’enfants gorgés de rire. Et j’ai vu les soufflettes d’air qui respirent : quand l’un souffle, l’autre aspire, organisant le flux d’un vent humide et chargé, semblable à celui qui menace la fin de l’après-midi chaque été. J’ai frappé dans des tuyaux en métal et leurs trous : autour des égouts du parc, mais… rien ; toujours rien… aucune lumière de ces jouets de musiciens.

Je les cherchais derrière l’ensemble des colonnes en bois qui, alignées, font de l’orgue de barbarie une mâchoire souriante ; peut-être qu’ils dorment dans les cavités des assemblages ou parmi les feutres qui les protègent et les séparent. Au cœur de cet artichaut de super mécanismes, charnières, haches et vilebrequins, il se trouvait le principal trésor : le gros cylindre comblé de morsures et des agrafes saisies avec des ongles, des dents et des jambes comme des insectes sur une plante, résistant à la tempête … sa cachette, c’est vrai, son repaire indéniable ! J’ai lui déraciné, mais les petits hommes n’étaient pas en arrière, ni dans les capes ni dans l’âme centrale du cœur de l’orgue.

J’ai giflé la table ! Il frissonna tout entier, craquant et menaçant de se briser une fois pour toutes ; vieux bois de joints usés. Les boutons et les boulons flottaient dehors de ses cases, les couvertures rangées se sont écroulées et, face à mon anxiété, le cylindre effrayé s’échappa et s’alla sur le sol pour se rouler sous la table jusqu’au fond, où il s’arrêta contre la terre et vieux des décombres que personne n’y a balayés depuis des années.

Après… Je ne pouvais pas le mettre ensemble. Désolé, désolé. Je suis devenu fichu. Je sais que je t’ai blessé —plus à toi qu’à l’instrument—. Vous ne pourrez pas sortir et remplir l’atmosphère avec ce long bruit, aqueux, que les oiseaux boivent. Il n’y aura pas d’argent, au moment de passer le chapeau. Il n’y aura pas d’argent pour l’Union de broyeurs d’organes de la ville ou pour l’Union libre des musiciens. Il n’y aura aucuns frais pour répondre aux demandés de la Fédération des vendeurs de rue que —on dit— finissent par donner leur pot-de-vin aux députes. Rien pour eux, rien pour le loyer, rien pour nous, rien pour les tortillas, rien pour mon école, rien. Nous avons vécu si juste … Je ne le savais pas. Chaque tournant de la manivelle produisait une note, et chaque note produisait, peut-être, un centime… ne le calme jamais, ni le rêve. Vous devez préserver la machine en tournant —disiez-vous—, sans pause ; parce que sinon, la collation s’échappe.

Les petits hommes, seraient-ils morts ? Je ne sais pas. Mais il était urgent de réparer l’orgue de barbarie démembré comme un tas de haricots sur la table. Le cylindre, lorsque je l’ai pu faire sortir de sous la table, était bosselé et recouvert de toute la saleté qu’il a pu attraper : le bossage était grossièrement compensé en le pressant de l’intérieur avec mes pouces ; la saleté était plus têtue et je devais la laver contre le jet du tuyau —un fort courant qui tirait tout— ; et je l’aidais avec une brosse robuste qui on garde pour nettoyer le patio.

De nombreuses agrafes volaient, mais à la place le cylindre a brillé avec s’ancienne clarté blanchâtre comme un placage de fines tuiles. Je pensais que les petits hommes n’étaient peut-être que des agrafes et qu’ils m’avaient trompé et fais semblant d’être rigide, tenant de ses bras et ses jambes pour me troubler. Maintenant, je les ai vus traînés par l’eau tourbillonnante et disparaître mourants près du drain. J’ai soupiré pour eux ; juste un instant.

Les autres pièces, j’ai les arrangées avec le soin d’un horloger, bien que j’en ai laissé certaines que j’ai placées pour faire des ponts entre marteaux, valves et ligatures. L’ai-je le mal assemble ? Oui, et quelques larmes sont allées à la boîte avant de la fermer avec des boutons… Larmes bénies d’enfant qui implorent le bon son de l’orgue … pour chanter un peu quand vous en avez besoin.

Dimanche après-midi, quand il y aura plus de foule au Parc au Peuplier, vous serez chargé de l’instrument et de tout votre espoir pour que ce soit une journée remplie de pourboires. Vous vous êtes arrêté à courte distance du Palais des Beaux-Arts et de sa montée raide à cause du terrible tremblement de terre de 1985. Vous recherchiez le meilleur espace parmi les planteurs, loin du carrousel que le gouvernement vient d’installer, loin des enfants qui rient et scandalisent … flanqué des petits gardes, si modernes, qui ornent maintenant l’entrée du métro.

Vous avez retiré les serrures et tourné la manivelle de l’orgue a barbarie. Vous n’avez pas entendu le sifflement habituel, bouffi, gras, de haut ou de bas qui commence toujours par la mélodie : ce Cielito lindo, répété mille fois par l’orchestre de petits hommes qui sont capturés à l’intérieur, animés par vous, leur Seigneur. Mais au lieu de cela, tonnerre seulement, car la ville a appartenu ce jour-là à la tempête. Un tonnerre énorme remplit tout le parc assourdissant. Et puis, dans le lourd silence des échos qui chasse le tonnerre, le long frottoir d’un balai-brosse, entre les mains d’un employé de la municipalité que, à vrai dire, personne ne va savoir jamais ce qu’il faisait si tard.

Puis le déluge est arrivé. Il a été noté que ce serait une forte averse : beaucoup de gens ont couru se protéger sous le chapiteau du théâtre Hidalgo, sous sa colonnade qui porte la trabe et les lettres si carrées qu’elles ressemblent à une forteresse. Le vent annonçait le pire : il allait être long et l’eau trop, des jets d’eau qui commençaient à tirer avec tout ; avec les ordures et les feuilles des chênes ; avec des mégots, des gobelets jetables, des vêtements, plusieurs parapluies brisés et une poussette légère ; avec des signes et la tête d’une poupée décapitée. C’était une averse de ceux que seule La Ville de Mexico peut invoquer lorsque le ciel est chargé et que le Seigneur est en colère contre elle, pour sale et grommelant.

Vous êtes beaucoup plus en colère contre moi, non ? Parce que je comprends maintenant que lors de votre dernière tentative, lorsque vous avez traversé effrayé les jardinières en retournant le regard, vous avez seulement vu comment les hommes du parc —des jeunes, des vieux, des femmes baignant dans l’eau— ont été entraînés comme poubelle. Ils dépassaient comme tout jouet en plastique perdu, vers un tourbillonner au centre de la place. Avec eux, ils cessaient leurs cris sans se faire entendre, jusqu’à ce qu’ils soient avalés par les égouts ronds, très primitifs et affamés. Leurs voix brisées étaient inaudibles et vous essayiez furieusement de les écouter… ou de les faire taire ? Mais avec votre tentative, vous avez seulement trouvé le moyen d’encourager le balayeur filant qui vous a convaincu, avec ses yeux, qu’il y en a d’autres qui sont meilleurs que lui pour nettoyer les rues et les enlever, avec la force de la brosse, la clarté originale de leurs tuiles.