Monk.e, un artiste qui dépasse les murs, du Mexique à Montréal

Monk.E, l'artiste montrant une partie de son art à Montréal (photo : Facebook).
Synergie essentielle à l’essor de l’art mural dans la ville, le talent et l’audace d’artistes libres. Un esprit urbain sans compromis et que représente à merveille Monk.e. Au cœur d’une création qui le conduit à de précieuses collaborations, l’artiste trouve une inspiration déterminante dans la relation qu’il a développée avec le Mexique. Au-delà de la présentation de son œuvre lors d’expositions comme celle de Divina Dali, Monk.e chérit un sens de la libération où joue un rôle fondamental son parcours de plusieurs années au pays de Frida Kahlo.
Par Alexis Lapointe

 « Une connexion première et un grand enseignement, résume l’artiste à propos de sa relation au Mexique. C’est aujourd’hui encore un des pays les plus importants pour le muralisme au plan international. »

Au Québec depuis un an après différentes expériences internationales, l’artiste originaire de Drummondville a fait de la crise sanitaire une occasion pour investir pleinement la scène locale. Au-delà d’un style qu’il a établi depuis des années au cœur des nuits clandestines comme graffeur, Monk.e – le e désignant l’énergie, précise l’artiste – s’affirme comme un être authentique qui manie avec maestria le sabre du verbe poétique, du spoken word à la chanson hip hop.

Nouvelles toiles présentées dans le cadre d’une exposition solo à la Galerie L’Original sur la rue St-Paul de même que lors de l’événement Divina Dali, murales éclatantes d’évocation sociale en écho à des thématiques aussi brûlantes que l’antiracisme. Performances en mode freestyle, qui passent du français à l’espagnol dans le contexte d’événements comme Cypherology, au parc Girouard… sans compter un album en vue avec le collectif musical Chromaship, qu’il anime avec des artistes comme SpectraX.  

Assurément, l’artiste fait en 2021 un retour énergique à Montréal.

Monk.E à l’événement Divina Dali

Ometéotl

Initialement, Monk.e découvre le Mexique il y a une quinzaine d’années, à la suite d’une rencontre marquante qu’il faite dans un espace de diffusion qu’il avait mis en place et qui s’appelait Ociel. Alors de passage à Montréal, un artiste particulièrement emblématique de la musique roots reggae en Amérique latine se présente au micro d’un spectacle de poésie de cet espace de la rue Saint-Jacques.

Il s’agit de Lengualerta. Quelques mois plus tard, Monk.e allait l’accompagner à titre d’artiste hip hop lors d’une tournée à travers tout le Mexique. « Le circuit a eu lieu dans un esprit de conscientisation, raconte-t-il. Je voulais à mon retour éduquer les Canadiens, quant au karma qu’ils s’attirent avec la néocolonisation et l’exploitation minière dans le monde. »

La tournée allait s’amorcer dans le désert de Wirikuta, territoire qu’habitent des nations autochtones d’ascendance Huichol. Une entreprise aux activités les plus controversées dans les territoires considérés comme sacrés de ce désert de la Sierra Norte s’appelle First Majestic Silver, une mine d’argent qui possède son siège social à Vancouver.

« J’ai fait une cérémonie de peyotl avec les Huicholes lors du Día de Muertos (Jour des Morts), raconte Monk.e. Ce fut mon introduction au pays, j’entendais les gens ouvrir et fermer chaque discours en disant Ometéotl. » Ce mot en langue náhuatl possède un sens profond, qui évoque à la fois la fin et le début. Le deuil et le seuil. « Deux jours plus tard, j’apprenais que j’allais faire mon premier spectacle dans un festival ayant pour nom Ometéotl, dit-il. C’est là que j’ai fait la connaissance d’une demoiselle qui allait devenir ma femme six mois plus tard. »

Monk.E laissant son art en Ouganda.

Fresques historiques

Durant des années, Monk.e vit au Mexique. À ce jour, il y a fait 19 tournées à titre d’artiste visuel, ainsi que comme chanteur et performeur sur scène. « J’ai eu la chance de peindre et de rapper dans plus de la moitié des 32 états mexicains, dit-il. Bien sûr, mon espagnol vient de là. »

À Montréal, cette langue lui ouvre aussi des horizons. Il participe notamment à un spectacle musical mis en place par le Cirque du Soleil et qui va donner son impulsion à un collectif ayant pour nom Amérythmes.

L’initiative réunit des artistes qui sont aujourd’hui des noms incontournables de la scène latine montréalaise : Chele, qui fonde à cette époque Sonido Pesao, la prolifique Baby K ainsi qu’Esméralda Súmar, vocaliste qui collabore maintenant entre autres avec Samian.

« Amérythmes constitue un jeu de mots avec Amériques, puisque nous sommes originaires de las tres Americas, révèle Monk.e. On a fait divers événements au Québec, au Mexique puis une tournée avec Rila Beats et Lunatico au Pérou. » Autant d’épisodes d’une réelle valeur historique, puisqu’ils se situent aux sources de la scène latine actuelle de Montréal.

Au Mexique, Monk.e apprend et pratique activement l’art mural. Une centaine de fresques à travers le pays portent sa signature. « Je considère l’art visuel comme ma langue première », note l’artiste. D’une langue, d’une discipline ou d’un endroit à l’autre, celui-ci valorise cette même conscience sociale propre à la thématique de sa première tournée mexicaine avec Lengualerta.

Un travail collaboratif de Monk.E avec Maker et Carlos Robledo réalisé à San Nicolás, Monterrey, Mexique.

Karma décolonial

Lors d’une épique entrevue de plus de deux heures à ONZMTL, Monk.e a aussi fait un clin d’œil à ce vent d’inspiration du Mexique.

« Je travaille avec la communauté, mentionnait le graffiteur et muraliste lors du podcast. La peinture me permet de montrer comment la néo-colonisation ou la corruption, par exemple, s’emparent du cœur humain alors je pratique mon art comme une guerre spirituelle. » Une guerre on s’en doute de libération, celle d’un « karma décolonial », selon les mots de Monk.e.

« Je crois qu’il est possible de réinvestir ses privilèges pour le bien commun, comme le faisait Diego Rivera », dit-il. Clin d’œil tout à fait de mise ici à un pionnier du muralisme mexicain, reconnu à la fois pour la portée révolutionnaire de ses fresques et leur succès auprès de magnats de la finance comme John D. Rockefeller à New York.   D’ailleurs, le couple iconique de Frida et Diego reste symbolique pour Monk.e. « Frida représente très bien ce grand pays, dit-il. Son identité est devenue un archétype de la beauté du Mexique. »